Friday, September 16, 2011

Un séjour en mer... Un séjour en enfer...


La recherche de nouvelles expériences guide souvent mes pas. Dans l’espoir de découvrir toujours un peu plus notre monde fascinant, je me retrouve a expérimenter différents lieux et jobs. Je suis toujours partant pour quelque chose de nouveau et je me lance sans me poser de questions…

Un soir, autour de la table de notre sympathique petite communauté à Darwin, je reçois un appel pour un boulot sur un bateau de pêche. Le navire est sur le point de partir et ils ont besoin de deckhands (travailleur sur le pont dont la principale occupation est de récupérer les pièges et les renvoyer en mer) pour un voyage de deux semaines. Je dois me décider sur le champ et me dépêcher. Ce boulot est réputé pour être un des plus difficiles qu’il soit. J’accepte tout de même et je file vers le port avec un mélange d’excitation et d’appréhension qui prend au trippes.



Je m’attendais aussi à une faune particulière quant aux marins. En effet il me semble que c’est un boulot les gens sains d’esprit ne font pas long feu. Une fois arrivé sur place, je remplis les papiers, la première question qu’il m’est posé est de savoir si j’ai une assurance vie. Je sais que c’est un boulot dangereux mais quand même ça fait peur comme question. Quand je remplis la paperasse je rencontre les différents membres de l’équipage. Les gens autour de moi, crient quand ils s’adressent aux autres. Chaque mot est ponctué d’un fucking, d’un bloody ou d’un cunt. Le ton est celui que l’on voit dans les films de guerre quand le sergent s’adresse au pauvre soldat qui a mal rangé sa paillasse. Quelques minutes plus tard je vois un gars à la carrure imposante et ayant d’évidents problèmes d’articulations se précipiter avec un sac à dos. Il vient me parler et remplissant son sac a la hâte. Il est saoul et me dit qu’il a un très mauvais pressentiment pour ce voyage. Il ne veut pas partir avec une équipe composée de gens inexpérimentés. Je rencontre un autre jeune qui va partir avec moi. Il est sympa et il a déjà travaillé sur d’autres bateaux de pêche. Il me dit qu’il faut être prudent par ce que c’est dangereux. Quand je lui demande à quoi je dois faire attention, il me répond que tout est dangereux sur le bateau. D’autre part il me raconte l’histoire du gars qui travaillait sur ce même bateau trois semaines plus tôt et qui y a trouvé la mort. Bref, ce fut un début un peu alarmant. Je suis résolu à redoubler d’attention et me jure de ne jamais perdre ma vigilance.

Mon séjour sur ce bateau fut certainement la pire expérience que j’ai vécu dans ma vie. C’est pourquoi je vais décrire les conditions de vie. Le problème n’était pas vraiment le fait que le boulot était très dur physiquement mais surtout le fait d’avoir atterris dans un endroit qui me fait penser à un mélange entre l’armée et un camp de concentration. On commence à travailler à deux heures du matin, réveillés par les cris du gros bonhomme qui est notre skipper (capitaine du bateau). Pas le temps pour un petit déjeuner on file au boulot. Il faut travailler à fond toute la journée. On est sans cesse pressé par les injonctions du skipper et du surpervisor. L’équipe était composée de gens qui travaillent dur pour leur vie. Mais notre interminable journée termine a dix heures du soir. Oui, incroyable mais vrai, on travaille 18 heures par jour, et ils veulent qu’on soit à fond tout le temps. Tous les jours c’est le même rythme. De plus la moitié des nuits, enfin on les considérait plus comme des siestes que comme des nuits puisque on a jamais vraiment dormi, on devait effectuer une heure de garde chacun pour surveiller le radar, le programme de navigation et l’horizon. Le quotidien était ponctué par la douleur physique d’un corps meurtris par un travail exigeant, la fatigue physique et morale. Le voyage a d’emblée tourné en une épreuve de survie plutôt qu’une expérience de travail. A cela, il faut ajouter les nombreux problèmes techniques du bateau qui ont ajouté un stress considérable. D’autre part je suis tellement heureux d’avoir eu ces pannes, puisque ça a précipité notre retour et donc cela m’a permis de faire 9 jours au lieu de 14. Le dernier jour fut le pire, j’étais soulagé à l’idée de rentrer et d’être enfin libre d’être un homme à nouveau. Vers 9h30 du matin ils annoncent que ce sont les derniers pièges et après on rentre vers Darwin. Tous heureux d’en finir, on se retrouve déçu 5 min plus tard quand ils annoncent qu’il y a une dernière fournée. On est tous sur les rotules, au bout de notre vie, des cernes si énormes qu’aucun maquillage ne pourrait les masquer et on s’effectue. A la fin de celle-ci, pas de nouvelles. Et c’est donc reparti pour une nouvelle série. Je parie une barre de muesli avec mon seul ami que ce n’est pas la dernière. Je gagne mon pari évidement. Ils continuent à annoncer régulièrement que ce sont les derniers mais le boulot continue intensément jusqu’à 18h30. Leur manque d’organisation tourne en vrai torture morale pour nous. J’étais comme un zombi, le moral réduit à zéro, j’ai vraiment cru que j’allais m’effondrer sur place et mourir d’épuisement. Mais l’instinct de survie est plus fort que tout, je n’aurai jamais cru qu’il était possible de pousser un corps à ce point-là. J’éprouve aujourd’hui beaucoup de sympathie et de respect pour ces pauvres hommes moins chanceux que moi et sont morts en esclaves. Je suppose qu’a la lecture de ces quelques lignes, beaucoup doivent se poser des questions et ne pas comprendre. Pourquoi ne pas se rebeller, etc. Mais il est dur de décrire l’ambiance générale du bateau. Il s’agissait d’un milieu clos totalitaire, d’une institution écrasante comme l’expliqueraient les sociologues. On peut y retrouver des similitudes avec l’asile de vol au-dessus d’un nid de coucou et la prison de shawshank redemption. Il ne m’est cependant pas possible d’écrire plus sur la psychologie des autres membres de l’équipage, trop long et trop difficile à décrire.
J’entais sensé recevoir un briefing et des explications sur le boulot avant de commencer. Que dalle! J’ai du tout apprendre sur le tas à mes propres risques et périls.

Le bateau (que l’on peut voir sur la photo) a un pont rectangulaire et une machine fixée sur un rail au toit du premier étage, celle-ci sort pour extraire les pièges et les rentrer par la petite entrée latérale. Il faut lancer un crochet pour récupérer la corde avec le flotteur. Evidement pour ça il faut être debout au bord de l’entrée sans rambarde. Le bateau tangue fort sous des vagues pouvant atteindre plusieurs mètres dans ces eaux de Timor Reef, proches du Timor Oriental. Quand on récupère la corde il faut la faire passer successivement dans les trois roulages de la machine. Il faut pour ça quelqu’un (la moitié du voyage, ce fut moi) qui se penche au bord du vide et défasse les cordes de flotteurs enroulées. Quand travaillais avec le skipper, il actionnait la corde tellement vite que j’ai toujours la trouille que mes doigts finissent dans les roulages. Quand je lui a un jour wait wait ! Parce que les cordes étaient trop nouées, il me répondît hurry hurry. Time is money. Il ne voulait pas ralentir d’une seconde pour mes doigts. Pourquoi ? Parce qu’a l’instar du propriétaire du bateau, ils ne nous voient pas comme des hommes mais comme des machines. Ils n’ont aucune considération pour nous. Chaque fois qu’ils s’adressent à nous le langage de sergent est composé de tellement de jurons et d’insultes envers nous qu’il m’est difficile de comprendre ce qu’ils nous demandent de faire. Apres avoir arrangé les cordes et remonter le piège, je dois me pencher a nouveau au bord pour guider le piège a l’intérieur du bateau. Les pièges, de grandes cages en métal, font environs 2,50 m de long et de large sur 1,50 m de haut. Le tout est lourd et on passe nos journées à les faire glisser, les mettre debout, les redescendre. On récupère les poissons et les appâts à l’intérieur, pour cela il faut rentrer dans la cage. Le navire tangue fort  et a pour conséquence de faire bouger les cages, l’intérieur est dotée de nombreux endroits se cogner et d’autres pointus l’on peut se déchirer les vêtements et la peau à souhait. 



Récupérer les poissons ne fut pas une mince affaire. La plupart sont vachement massifs et pas contents d’être sortis de l’eau. Au début quand je les prenais en mains, ils se débâtaient de toute leur force et en faisant cela, ils hérissent leur nageoire dorsale dans laquelle ils ont des arrêtes étonnamment pointues. Celle-ci transpercent aisément les gants et se plantent profondément dans les doigts. Mes prochaines tentatives étaient de prendre le poisson en fourrant mes doigts dans ses branchilles. Le problème est que certains sont énormes. Quand ils se débâtent, les doigts finissent à l’intérieur de leur bouche, sur leurs dents. Il faut donc les attraper par la petite nageoire latérale proche des branchilles, lui donner une petite torsion et balancer rapidement le poisson dans la caisse. Pour les appâts on utilise des sardines et du thon surgelés que l’on fixe dans des boites et des filets a l’intérieur des cages. Ça se réchauffe vite au soleil, le sang nous coule dessus et l’odeur de poisson mort nous colle à la peau et aux vêtements en permanence. Ce sont les petits détails du boulot… La partie la plus éprouvante est de soulever chaque piège pour le mettre debout et plus tard les coucher par terre. A trois personnes, c’est assez lourd. A deux, c’est vraiment éprouvant. Il manquait une personne dans l’équipe et de temps en temps nous n’étions que deux pour ça. La partie la plus horrible était le bait smashing le soir, il fallait sortir les boites surgelées d’appâts, les mettre dans une caisse en métal et réduire ces blocs en morceaux à l’aide d’une sorte de barra mine avec une extrémité coupante. Le mouvement est celui de piler quelque chose. L’instrument est très lourd et l’activité, une vraie torture pour le dos.

Mon seul compagnon de travail, enfin le seul qui est un être humain normal, avait travaillé sur d’autres bateaux de pêche. Il me disait que c’était un boulot difficile mais que comparé à notre bateau, c’était des vacances. J’espère que les bateaux comme celui-ci sont peu nombreux. Ce sont de vrais instruments d’aliénation.

Je suis rentré hier soir, dans un état lamentable, mais pris d’une euphorie incroyable. Le plaisir de retrouver notre petite communauté de Darwin. Retrouver la conversation, pouvoir s’asseoir et parler, partager des choses simples avec des hommes… ce fut un vrai retour à la vie. Ma vision tangue toujours, mon corps est couvert de blessures. Je me considère chanceux de n’avoir rien de grave.

Au final, ce fut une expérience horrible. Elle me permet toutefois de réaliser beaucoup de choses sur la psychologie et les contacts humains. Tout est encore trop frais pour l’articuler en mots. Cela viendra…

Je suis encore plus heureux qu’avant et profite à fond d’une vie simple ici…

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